Prévention des lésions du ligament croisé antérieur chez le skieur...
Introduction
Le ski alpin est un sport particulièrement pourvoyeur de lésions ostéo-ligamentaires. L'entorse de genou étant la blessure la plus fréquente en représentant près du tiers de l'ensemble de celles provoquées par le ski alpin moderne. La pathologie grave la plus rencontrée est la rupture du LCA. On compte en effet entre 15000 et 16000 ruptures de LCA par an chez les skieurs en France, soit la moitié des lésions de LCA tous sports confondus.
Le taux de lésion du LCA s'élève à 20 % chez la femme, contre 9.2 % chez l'homme (Médecins de montagne) ; et l'on compte 2 femmes blessées pour 1 homme (pour cette pathologie) alors que ces derniers représentent 65 % des skieurs sur les pistes.
Les blessures concernent les skieurs de haut niveau, préparés physiquement mais à la recherche de performances en prenant toujours plus de risques. On parle de "bizutage du skieur" pour ce qui est la rupture du LCA. Mais les pathologies traumatiques touchent aussi les skieurs occasionnels, amoureux de la montagne et pour qui le ski représente leur seule activité sportive de l'année. Les lésions isolées de LCA atteignent plus volontiers les skieurs débutant responsables d'une faute technique par inadvertance, ou les skieurs amateurs relativement à l'aise techniquement mais totalement déconditionnés physiquement.
Les slalomeurs peuvent eux, infliger des lésions considérables à leur genou (pentade médiale par exemple) lorsqu'un des skis est pris dans une porte et que le déchaussage ne se fait pas à temps.
Notons bien en revanche que les atteintes des membres inférieurs sont proportionnellement plus élevées chez le skieur amateur.
Quelques chiffres d'après Médecins de montagne
En ski alpin :
- L'entorse du genou représente + de 30 % des lésions ;
- La rupture de LCA représente 17 % des lésions ;
- La fracture de jambe + cheville représente 2 % des lésions ;
- + de 15000 rupture de LCA par an ;
- Les femmes de + de 25 ans sont 3.5 fois plus exposées à ce risque que les hommes ;
- 43 % des entorses du genou sont la conséquence d'une fixation mal réglée.
Une pathologie "récente"
La lésion du LCA chez le skieur s'avère être un phénomène relativement récent puisqu'il est la conséquence de l'arrivée sur le marché des chaussures rigides et montantes au milieu des années 80. Les lésions du LCA ont ainsi "remplacé" les terribles de jambe spiroïdales du skieur.
Quelles sont les raisons d'atteintes privilégiées des genoux ?
Plusieurs paramètres expliquent l'exposition privilégiée des genoux aux entorses. Certains paramètres étant modifiables, d'autres pas.
- Sport à haute énergie cinétique ;
- Environnement (terrain glissant, visibilité parfois mauvaise, présence d'obstacles...) ;
- Collision avec un skieur, un snowboardeur ou avec un élément de l'environnement (panneau, rocher...) ;
- Longueur du levier rotatoire représenté par le ski ;
- Mauvais réglage des fixations
- Blocage de la cheville par les chaussures : le problème majeur étant le verrouillage des mouvements de latéralité qui ne sont pas des degrés de mobilité du genou à l'état physiologique ;
- Manque de préparation physique : skieurs complètement déconditionnés pour ce type d'effort ;
- Prédisposition physiologique : hyperlaxité ligamentaire (femmes +++) et déficits musculaires ;
- Hygiène de vie inadaptée : contexte de vacances avec dette de sommeil, prise de boissons alcoolisées, repas déséquilibrés, déshydratation...
On peut retrouver chez une même personne plusieurs facteurs favorisants, faisant d'eux des candidats particulièrement sérieux aux entorses graves.
Les accidents surviennent très fréquemment le 3ème jour de ski lorsqu'une fatigue globale s'est installée simultanément à l'apparition de DOMS provoquée par la répétition de contractions excentriques.
Outre le désagrément personnel qu'engendre ce type de blessure, il faut également penser aux coûts médicaux et aux arrêts de travail qu'il nécessite. Sans parler du risque de complications opératoires et/ou rééducatives parfois catastrophiques (neuro-algodystrophie) et des lésions articulaires dégénératives à moyen ou long terme (gonarthrose précoce).
Notons que l'assurance maladie a codifié en 2010 la rééducation des patients ayant subi une ligamentoplastie du LCA pour réduire les coûts sanitaires liés à cette opération. Le nombre de séances de kinésithérapie se limite maintenant à 40. Si une rééducation correcte peut être faite chez un sujet peu sportif, 40 séances ne sont pas suffisantes à rééduquer parfaitement un sportif ambitieux qui a besoin d'environ 6 mois de rééducation intensive pour pouvoir reprendre sereinement un sport en pivot.
La prévention en traumatologie chez le skieur est alors légitime d'autant plus que l'on peut agir sur la plupart des facteurs de risque
Pour prévenir les entorses graves de genou, invalidantes plusieurs mois et entrainant une rééducation et un arrêt de travail prolongé, il est important de bien se préparer physiquement plusieurs semaines avant l'échéance. Cela passe notamment par des entrainements musculaires en résistance et en endurance, mais aussi par un renforcement proprioceptif intense et spécifique. Si c'est bien le versant musculaire que nous développerons ci-dessous, il est important de noter que la prévention présente plusieurs volets :
- Le volet technico-technologique : taille, dessin des skis, des chaussures, réglage des fixations... qui ne relèvent pas de mon domaine de compétence ;
- Le comportement général du skieur : règles hygiéno-diététiques, comportement sur les pistes (prudent, téméraire, inattentif). Il faut connaitre quelques règles de base : s'hydrater malgré le froid, avoir une alimentation d'effort, sommeil suffisant... Notons que beaucoup d'accidents arrivent bêtement, sur des gestes anodins par inattention, provoquant une faute technique brève mais fatale ;
- La préparation physique spécifique : que nous approfondirons par la suite ;
- La récupération : que nous aborderons brièvement.
La préparation physique au ski
Elle comprend deux axes de travail principaux, le troisième n'étant pas moins important mais plus difficile à mettre en oeuvre en étant citadin : c'est la mémoire topographique. Les deux premiers sont : le renforcement musculaire et le travail proprio-kinesthésique.
Il est essentiel quel que soit l'axe de travail, de rester en phase avec l'activité concernée (le ski) en essayant de se mettre dans des conditions semblables à celles du ski (sport en charge sur terrain instable sollicitant principalement les membres inférieurs et le tronc en excentrique).
Spécificités du ski alpin
- Sport en charge et plus ou moins aérien ; - Sollicitations excentriques des muscles anti gravitaires ; - Sollicitation de plusieurs entrées sensorielles (vestibulaire, visuelle, proprioceptive) ; - Terrain instable. |
La mémoire topographique
Il s'agit de développer des mécanismes neuro-musculaires de contrôle et d'anticipation dans un contexte de sport de vitesse. Le meilleur moyen de développer cela est le VTT de descente mais qui est difficilement praticable à Paris ! Faire du vélo sur piste cyclable ne sera en aucun cas délétère à votre condition physique mais ne présente pas vraiment d'intérêt dans le cadre d'une préparation topographique pour le ski alpin. Nous retrouvons dans le VTT de DH (Down Hill) des mécanismes de contrôles réflexes et anticipatoires en fonction des reliefs et des obstacles ; des trajectoires et des vitesses proches de celles du ski avec la même problématique : arriver en bas le plus vite possible sans tomber.
Le renforcement musculaire
Il ciblera les muscles du tronc (type gainage) mais surtout ceux des membres inférieurs (chaine de triple extension), et un travail global en chaine fonctionnelle est très intéressant aussi.
Un renforcement théoriquement correct devrait s'étaler sur 12 à 14 semaines afin d'activer aussi bien les facteurs nerveux (coordination inter musculaire) que les facteurs structurels (hypertrophie cellulaire). Mais pour des personnes pour qui le temps est compté, il est préférable d'en exiger moins car si le programme est trop fastidieux, il ne sera pas respecté voire pas entrepris. Donc pour des skieurs moyens, sportifs par intermittence, une préparation de 6 à 8 semaines à raison de 3 séances hebdomadaires et 5 séances la dernière semaine semble satisfaisante. 5 à 6 séances la dernière semaine car il faut imposer à l'organisme une fréquence d'entrainement proche de celle qu'il subira pendant 1 semaine de ski. Il reste tout de même difficile de calquer la préparation sur le volume horaire de ski (5 - 6 heures de ski 6 fois dans la semaine).
Rappelons que le ski est un sport en charge et que les moyens de renforcement à privilégier sont les sports en charge comme le footing, trekking, football, roller, la chaise... La natation par exemple qui n'est pas un sport en charge ne présente aucun intérêt dans le cadre de la préparation au ski (outre en récupération).
Les muscles actifs lors de la pratique du ski sont presque exclusivement sollicités en excentrique, mode de contraction micro-lésionnel responsable de DOMS 24 à 48 h après les premiers efforts. Pour rester cohérent avec cette donnée, il faudra intégrer dans sa préparation des activités en descente (footing, trekking) et effectuer des contractions excentriques pour du renforcement en salle (sur la chaine de triple extension, triceps sural, quadriceps, ischio-jambiers, paravertébraux...).
Mais il ne faut pas insister uniquement sur la résistance mais aussi sur l'endurance avec un travail en aérobie pour permettre au skieur de mieux résister à la fatigue pour ne pas perdre sa lucidité technique en fin de journée qui pourrait entrainer une faute technique et une blessure. Nous avons mentionné plus haut que les blessures survenaient le plus souvent lors de gestes anodins où la fatigue en réduisant la vigilance et la concentration peut en être la cause. Alors méfiance en fin de journée lorsque la fatigue vous gagne. Ceci est un principe que l'on doit généraliser à tous les sports de montagne : savoir renoncer, car une blessure grave à un endroit peu fréquenté peut être synonyme de mort.
Un renforcement efficace en charge peut aussi s'effectuer en indoor à l'aide d'appareils spécifiques : plateforme vibrante, squat...
Pour évaluer quantitativement ses performances physiques à un instant t et pour objectiver l'évolution de celles-ci il est possible d'utiliser un MYOTEST. Par des tests de sauts, cet accéléromètre permet de déterminer votre puissance, vitesse, force et détente. L'intérêt sera de comparer ses résultats finaux (après préparation) à ses résultats initiaux (avant préparation) et aux normes statistiques
Le travail proprio-kinesthésique
Notre musculature nous sert à la locomotion en mobilisant nos segments de membre les uns par rapport aux autres, mais ils servent aussi à stabiliser et à protéger notre système ostéo-articulaire en luttant contre des forces extrinsèques à notre organisme, comme la pesanteur.
Le renforcement proprioceptif consiste à apprendre à notre système neuro-musculaire à réagir correctement en cas de mouvement lésionnel provoqué par une situation à risque (perte de contrôle à ski). Il s'agit de développer ce que les anglo-saxons nomment le feed forward, c'est à dire de mémoriser des situations dangereuses pour pouvoir les anticiper lorsqu'elles arriveront réellement. Il est indispensable pour cela de se rapprocher le plus possible du geste sportif et des gestes potentiellement lésionnels (il faut jouer avec le feu pour apprendre à le maîtriser).
Il existe pour cela un bon nombre d'outils conçu pour la rééducation et qui reproduisent plus ou moins bien l'instabilité des terrains susceptibles de causer des lésions capsulo-ligamentaires (mousses, ballon d'air, trampoline...).
Les vidéos ci-dessous montrent quelques exercices à faire qui se rapprochent assez bien des positions et des contraintes subies en ski alpin.
Cependant notre travail présente un élément incohérent avec la pratique réelle du ski. En effet, nous sollicitons considérablement la cheville étant donné qu'elle n'est pas bloquée et qu'elle représente l'élément de liaison entre le sol et l'organisme. Cela épargne alors largement le genou des contraintes mécaniques ascendantes. Avec le port de chaussures de ski modernes, la cheville est quasiment inactive car les contraintes issues du sol et du ski sont shuntées par la chaussure et transmises directement à l'extrémité supérieur du tibia et au genou. Pour pousser la préparation à la perfection, il faudrait réaliser ces mêmes exercices avec des chaussures de ski, mais cela n'est pas très évident à mettre en pratique.
La récupération
Pour les gens très actifs professionnellement et pour qui le ski est assimilé à des vacances reposantes, un problème va se poser. En effet, ces derniers vont passer brutalement de 2 footing par mois à 1 semaine intensive de ski à raison de 2 sessions par jour. Les DOMS générés par les micro-lésions musculaires et la fatigue globale provoquée par des efforts inhabituels vont entrainer une vulnérabilité de l'organisme au 3ème jour avec risque de blessure accru par réduction de la vigilance et par l'altération proprioceptive. Pour atténuer ce phénomène, il va falloir assurer une récupération entre 2 sessions et 2 journées de ski, ce qui permettra également de limiter les macro-traumatisme musculo-tendineux (déchirures musculaires, ruptures tendineuses...).
Quelques moyens simples sont à connaitre et à mettre en oeuvre pendant la semaine de ski :
- Réaliser des assouplissements en fin de journée pour retrouver un tonus musculaire de repos (triceps sural, quadriceps, ischio-jambiers, fessiers, muscles du tronc...) ;
- Booster le retour veineux en portant des chaussettes de récupération après l'effort ;
- Refaire le stock d'énergie par des boissons et des aliments adaptés.
Conclusion
Si la rééducation des patients ayant subi une ligamentoplastie du LCA se déroule bien la plupart du temps, avec reprise des activités sportives à 6 mois et retour à leur meilleur niveau par la suite. Gardons à l'esprit que des complications post-opératoires peuvent survenir, qu'un arrêt de travail prolongé sera nécessaire pour se consacrer à une rééducation pas toujours agréable et que le risque d'arthrose à 25 ans est important. Il est donc légitime pour des raisons économiques et personnelles de prévenir les ruptures de LCA notamment chez le skieur. Cela passe principalement par un réglage adapté et régulier des fixations, et par une préparation physique à entreprendre plusieurs semaines avant de se lancer sur les pistes.
Se préparer au ski alpin.docx (784748)